Fuite des Praticiens

Pourquoi après ses infirmières, l’hôpital public perd ses praticiens

Les témoignages concernant des lits et blocs opératoires fermés faute de moyens humains se font de plus en plus fréquents. Le manque de personnel paramédical en est souvent la première cause. Mais une autre menace pèse également sur l’avenir de l’hôpital public : le désengagement de ses praticiens. Ce phénomène est plus récent que pour les paramédicaux car ses mécanismes sont plus insidieux.

En 2009, la loi HPST réforme la gouvernance des hôpitaux publics et modifie l’équilibre entre le corps médical et la direction administrative. Afin d’éviter les situations de blocage en cas de divergence entre le corps médical et la direction, une seule personne doit avoir le dernier mot. : Sur des considérations d’efficience de gestion et de contraintes économiques croissantes, le choix se porte logiquement sur le directeur administratif.

Le principe semble raisonnable : les médicaux et les paramédicaux proposent, le directeur décide. Mais dans les faits, douze ans plus tard, le principe du dernier mot au directeur n’a finalement laissé place à aucun contre-pouvoir effectif dans les hôpitaux publics. Toutes les décisions touchant à l’organisation de l’hôpital relèvent du directeur, notamment les nominations de praticiens à des postes de responsabilité (chefs de service, chefs de pôle, directoire, etc.). Si des exemples de collaboration réussie entre direction et corps médical existent, il y a malgré tout une sélection aux postes de responsabilités, à savoir la nomination des praticiens les plus enclins à s’accorder avec les décisions des directeurs. Quoi de plus normal, pour un directeur qui souhaite améliorer l’efficience de sa gouvernance, que de s’entourer des praticiens les plus susceptibles de soutenir sa vision de l’hôpital ? Finalement, même le président de la commission médicale d’établissement, représentant des médecins,  est élu par les membres d’une commission dont une grande partie est constituée par des chefs de services et chefs de pôles, nommés par la direction.

Cette politique a progressivement éteint toute voix contestataire, toute initiative et toute cohésion du corps médical au sein de l’hôpital public. L’absence de réel poids dans les décisions impactant l’organisation de l’hôpital entraine un désintéressement et un désinvestissement du corps médical, voire un rejet total de tout ce qui est considéré comme « administratif ». Les praticiens anciennement  investis dans la gouvernance quittent l’hôpital, ou sont progressivement soumis ou marginalisés. Les jeunes praticiens qui découvrent l’hôpital considèrent comme normal de ne pas s’investir dans les aspects organisationnels, puisque c’est le seul modèle qu’ils ont connu. Privés de pouvoir de décision jusque dans les choix de recrutement dans leurs propres services, les responsables médicaux finissent par ne plus avoir les moyens de maintenir la cohésion de leurs équipes, et encore moins de pouvoir attirer de nouveaux praticiens pour compenser les départs.

Le pilotage de l’hôpital sans partage du pouvoir  va conduire les directions à rechercher la maitrise de l’ensemble des données de leurs établissements, et en particulier les données médicales des patients, pourtant réservées par la loi aux seules équipes de soin et aux seuls professionnels habilités par la Loi et sous responsabilité médicale.

Les conséquences finissent par se faire sentir également pour les patients, car pour pallier à la désorganisation médicale, les directions prennent progressivement la main sur le fonctionnement des services médicaux eux-mêmes.  Au final, l’expertise médicale indispensable à la bonne d’organisation d’un service de soin est remplacée par les règles de gestion de la direction.

La qualité des soins rendus aux patients n’est alors plus la première priorité. Cette perte de sens accentue encore le désinvestissement des praticiens, et le cercle vicieux est bouclé. 

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